top of page

Népal: gouvernement maoïste et Etat bourgeois

 

Article paru dans Syndicaliste! N°37 de janvier 2010.
Dans le numéro 28 de Syndicaliste! nous avions évoqué la lutte menée par le mouvement ouvrier et paysan népalais, dirigé principalement par le Parti Communiste Népalais-maoïste (PCN-m ou PCNU). Dans la conclusion de notre article nous évoquions les contradictions qui interviendraient une fois que la monarchie serait renversée dans ce pays. Les contradictions set bel et bien intervenues mais nous ne pensions pas que cela s'effectuerai avec autant de rapidité et d'intensité. 


Il faut se rappeler que le PCN-m népalais est arrivé au pouvoir en avril 2008 suite aux puissantes mobilisation de 2005 - 2007. Aux dernières élections de l'Assemblée Constituante, il a remporté 40% des suffrages, 20% étant obtenus par l'Union Marxiste Léniniste (UML). Cette assemblée a voté rapidement l'abolition de la monarchie et l'instauration d'une République Démocratique et Fédérale. Après toute une série de manœuvres de couloir, l'UML et une quinzaine de partis se rallient à la perspective d'un gouvernement à majorité "marxiste léniniste. Dahal (de son nom de guerre "Prachanda") quitte ses fonctions secrétaire du PCN-m pour occuper le siège de premier ministre. La "Révolution Nationale Démocratique" franchit un nouveau seuil. Le maoïsme est au pouvoir au Népal !


De compromis en compromissions...

 

Oui mais voilà, ce type de "révolution" nécessite certains compromis, d'ailleurs ouvertement assumés par les maoïstes avant même la formation du nouveau gouvernement : "Nous avons déjà accepté de dissoudre les organes locaux de pouvoir populaire. Nous avons dissous les tribunaux et les milices populaires. Les coopératives communes, dispensaires et écoles qui ont été établi durant la guerre sont maintenant affaiblis" (propos de deux membres du Comité Central, dans Red Star, revue du PCN-m), juillet 2008). Immédiatement, une crise intervient au sein du gouvernement.

 

Suite à l'expulsion de paysans qui occupent des terres de propriétaires terriens (les fameux "féodaux"), le ministre de l'intérieur (membre de l'UML) fait intervenir les forces de l'ordre. Le ministre maoïste de la Réforme Agraire apporte quant à lui son soutien aux paysans. Le premier ministre, dirigeant incontesté, du PCN-m, condamne l'action de son "camarade", amenant ce dernier à démissionner pour ne pas déstabiliser l'alliance gouvernementale. Car le principal objectif du PCN-m est de s'appuyer sur l'Assemblée Constituante pour rédiger une constitution favorable aux classes populaires. 

 

Cette tactique n'est pas un accident de parcours ou une remise en cause de la stratégie fondamentale du maoïsme. Le PCN-m s'inscrit dans une stratégie clairement institutionnelle, de longue date, fixée comme perspective à la guerre populaire. Ainsi, dans le texte d'accord de paix signé en novembre 2006, la question sociale est présentée sous un aspect purement institutionnel. Le PCN-m obtient l'engagement "d'une restructuration progressiste de l'État, afin de résoudre les problèmes qui existent au Népal, notamment les problèmes de classes, de castes, de religions et de genres." L'axe est donc intégralement basé sur les institutions d'Etat. Concrètement, les 10 années de Guerre Populaire Prolongée n'ont amené aucune avancée en ce qui concerne la constitution d'un contre-pouvoir prolétarien. Le pouvoir ouvrier dans les entreprises (droit syndical), les droits sociaux (Sécurité sociale), la reconnaissance des coopératives... ne sont pas abordés. La construction de coopératives, de tribunaux populaires et des milices n'était au final perçues par les dirigeants maoïstes que comme des outils provisoires visant à renforcer le pouvoir du Parti dans son rapport de force avec les autres secteurs de la bourgeoisie népalaise. C'est ce qui implique que le PCN-m ait choisi d'auto-dissoudre ces organisations en échange de son intégration dans la `"République Démocratique Nouvelle". 

 

La base se rebelle ! 

 

Face à ces "trahisons", le mécontentement se fait sentir tant dans les organisations populaires qu'à la base du parti, car tous les militants n'avaient certainement pas intégré la finesse de la pensée maoïste. L'intégration aux institutions bourgeoises donnent des premiers signent de corruption et d'enrichissement personnel. Le mécontentement est tel que la direction du parti est obligée de hausser le ton et de revoir son orientation tactique. A l'été 2009, la direction du parti met donc un coup de pression: "Les Nationalistes, les Républicains, les Progressistes et les Communistes doivent s'unir pour lancer la troisième insurrection, notre parti prendra la direction de tout le mouvement", a affirmé Prachanda.

L'ennemi c'est toujours le féodalisme et l'impérialisme, ce qui explique l'alliance proposée à la bourgeoisie nationaliste.

 

Oui mais une insurrection pour quoi faire ?

 

En juillet 2008 deux membres du Comté central répondaient déjà à cette question : "'Ce qui a été mis en place à ce jour, c'est une république fédérale et démocratique. Il s'agit en quelque sorte d'une démocratie bourgeoise, dans laquelle le PCN (maoïste) joue une rôle central. Toutefois, l'avant-garde du prolétariat népalais n'a pas encore conquis la totalité du pouvoir d'État. La révolution népalaise n'a pas encore atteint l'objectif stratégique de la démocratie nouvelle - à savoir la dictature conjointe des forces anti-féodales et anti-impérialistes, dirigée par le parti prolétarien. Il faut voir que la république fédérale et démocratique est un mot d'ordre tactique qui doit favoriser l’achèvement de la démocratie nouvelle, qui comme Mao l'a défini, correspond elle-même à la première étape de la révolution prolétarienne". En résumé, la Démocratie nouvelle doit permettre de détruire le féodalisme une bonne fois pour toute. Mais la politique du PCN-m des deux dernières années a démontré que le féodalisme ne pouvait être détruit sans la mobilisation des masses. Or la mobilisation des masses a été endigué volontairement par le PCN-m pour maintenir son alliance avec les forces anti-féodales... 

 

C'est donc le tigre qui se mord la queue !

 

C'est toute la contradiction du marxisme-léninisme... Pour tout révolutionnaire, la construction du Socialisme nécessite bien évidemment des alliances de classe et donc des compromis. Mais ce sont les intérêts du prolétariat qui doivent prévaloir et donc entraîner les autres classes dans une dynamique de révolution socialiste. Il faut déjà mettre le prolétariat en action pour ensuite créer un mouvement d'entrainement et de polarisation des autres classes. Or avec son schéma stalinien de "révolution par étapes", le maoïsme se fixe  une étape prioritaire en soit: détruire le féodalisme et participer à la mise en place de la démocratie bourgeoise. Par là même, il brise l'élan révolutionnaire en mettant le prolétariat et la paysannerie pauvre à la remorque de la bourgeoisie nationale "anti-féodale". 

 

 

Discours et intérêts de classe

 

Mais une autre contradiction traverse ce courant politique, et ce dans tous les pays, la composition sociale de la direction du parti. Comme toute formation sociale, le parti marxiste-léniniste est orienté par les intérêts des classes qui le composent. La social-démocratie puis le parti bolchevique russe a été rapidement pris en main par les intellectuels, ce qui a provoqué le départ de nombreux ouvriers syndicalistes dès les dernières années du 19ème siècle. Dans ses premières années d'existence le PC chinois est une véritable organisation ouvrière, très influencée par le syndicalisme révolutionnaire. Hélas, la prise en main du parti par la fraction maöiste marquera un tournant profond, ce parti devient alors une organisation paysanne encadrée par des intellectuels et des bourgeois.

 

Depuis, dans les pays "dominés", il est bien rare de trouver un parti marxiste-léniniste dirigé par autre chose que des membres de le petite ou moyenne bourgeoisie. Cette réalité est à mettre en relation avec la stratégie de la "révolution par étapes". En URSS, en Chine puis dans de très nombreux pays, cette stratégie a permis de justifier des processus révolutionnaires qui s'arrêtaient à leur étape "démocratie nationale". Cette stratégie a abouti a la construction d'un capitalisme national en URSS puis en Chine et des tentatives souvent avortées dans d'autres pays. Mais globalement cette politique aura permis à la bourgeoise marxiste léniniste de mobiliser le prolétariat urbain et rural dans un combat anti-impérialiste qui aura surtout profité à la direction du parti, reconvertie dans les ministères et dans les états-majors des entreprises nationalisées. 

Manipulation de la classe

 

L'étiquette "marxiste" donnée à ces "révolutions" permet de canaliser les classes populaires en créant l'illusion qu'un parti défend ses intérêts, qu'un chef charismatique remplace le père de famille. Mais dans cette histoire le "Socialisme" n'est que théorique. Les entreprises "appartiennent au peuple" et l'Etat est "populaire" voire "prolétarien" ! Sauf que la propriété n'est en rien matérielle. Car une propriété sans un droit de gestion, c'est comme une voiture que l'on aurait pas le droit de conduire, une vaste escroquerie intellectuelle. L'apparition du marxisme-léninisme au 20ème siècle a donc été le produit de la crise de direction de la bourgeoisie dans les pays coloniaux ou économiquement arriérés comme la Russie.

Cette bourgeoisie nationale, faible et peu nombreuse, ne pouvait s'émanciper de l'impérialisme sans mobiliser les masses ouvrières et paysannes... en leur faisant croire que la dynamique socialiste était engagée. Au final le marxisme-léninisme n'a donc été victorieux que dans les pays sous domination impérialiste. Il s'est caractérisé sous la forme d'une révolution bourgeoise radicale et donc d'un capitalisme d'Etat. Mais le marxisme proclamé était en complète contradiction avec le matérialisme de Marx. Quant aux pays ayant déjà réalisé leur révolution bourgeoise, les partis marxistes léninistes s'y sont manifestés sous la forme d'appendices des régimes "démocratiques populaires". Les forces qui se sont ralliées à ces Etats ont largement bénéficié du soutien matériel et financier de ces régimes. Cela est vrai pour les courants syndicalistes qui, entre 1920 et 1923, se rallient à l'Internationale Communiste pour se transformer en Partis Communistes... Mais cela est aussi vrai dans l'Europe de l'Est suite à l'invasion de l'armée rouge. Cette donnée restera une réalité pour les groupes d'extrême gauche des années 1960. 


Aujourd'hui, ces formations marxistes léninistes sont engagées dans un processus d'extinction. Le renouveau impulsé dans les années 60 a surtout été le signe de radicalisation de la jeunesse intellectuelle frustrée de voir la grande bourgeoisie lui refuser un partage du pouvoir. C'est chose faite depuis le tournant des années 1980. Les Partis Communistes officiels se sont, quant à eux, ralliés aux institutions bourgeoises, et leur influence syndicaliste originelle s'éclipse progressivement. Au final, le marxisme léninisme se réduit désormais à quelques résidus dans les pays dominés.

Le PCN-m dans l'impasse

 

Quant au processus démocratique national au Népal, s'il n'est pas démocratique, par contre il est très national. Les bureaucraties, soviétique puis chinoise, ont constamment sacrifié le sort des prolétariats d'autres pays en contrepartie de manœuvres diplomatiques. Le PCN-m reste donc fidèle au marxisme léninisme dans ce domaine aussi. Ce n'est pas nous qui le disons, c'est le Parti Communiste (maoïste) d'Afghanistan, membre de la même internationale que le PCN-m. Une internationale un peu particulière qui, normalement, arrête son action où commencent les intérêts nationalistes d'un "parti frère". Ainsi.. pour l'exemple concret, le PC(m) d'Afghanistan a diffusé en mars 2009 un appel aux partis maoïstes du monde entier afin de dénoncer la politique du PCN-m népalais. Ce texte, rejetant toutes les règles élémentaires du centralisme démocratique, appelle les militants du PCN-m à agir contre leur gouvernement et contre la direction de leur parti. 

 

Pourquoi un tel manque d'esprit fraternel ?

 

Il faut dire que depuis 2008, malgré tous les engagements pris devant ses partis frères, le PCN-m a oublié de retirer les forces armées népalaises qui occupent l'Irak et l'Afghanistan. Le nouveau gouvernement népalais a même accepté que ses contingents (de 1500 à 2000 soldats d'élite) participent aux opérations de "maintien de la paix"' de l'ONU. Les maoïstes afghans accusent les troupes népalaises, dirigées par un gouvernement labellisé "maoïste", de verser le sang des Afghans. Ils auraient cependant pu élargir leur critique internationaliste à l'Irak. Le PCN-m se pose donc la question de lutter contre l'impérialisme au Népal tout en participant aux actions impérialistes en Irak et Afghanistan ! Drôle de conception de l'internationalisme... mais conception qui s'intègre à la logique de la "Révolution démocratique nationale". 

 
Rupture du PCN-m avec le gouvernement

 

En mai 2009, les contradiction politiques explosent au visage du PCN-m. La direction de l'armée refuse toujours d'intégrer les anciens combattants de l'Armée Populaire aux forces armées de l'Etat. Le premier ministre décide alors de limoger le commandant des forces armées, ce que refuse le président. Ne pouvant pas se discréditer par un repli honteux le PCN-m est contraint de quitter le gouvernement. La perspective de reprendre les armes est alors d'autant plus impossible que beaucoup de militants se sont démobilisés suite à l'intégration dans les institutions. Mais les maoïstes avaient aussi accepté de livrer leurs armes récupérées par l'ONU dans des stocks dont ils n'ont pas le contrôle. Le PCN-m est alors contraint d'improviser un tournant tactique et de s'appuyer sur les mobilisations sociales dans les ville, à la campagne et chez les minorités ethniques. Depuis, il multiplie les grèves, les blocages de rue, les manifestations et autres occupations. Ses positions concernant ses alliances politiques sont plus que jamais confuses. Car comment réaliser désormais la Révolution démocratique nationale quand les autres secteurs de la bourgeoisie nationaliste s'y refusent ? La stratégie marxiste léniniste se trouve donc engluée dans ses contradictions. La conquête du pouvoir était pensée comme une conquête de l'appareil d'Etat et donc des institutions. Mais ces institutions, et principalement l'armée, ne peuvent changer de nature de classe par le simple fait des élections. C'est cet élément de base de l'analyse marxiste que les maoïstes népalais viennent de découvrir. II ne leur reste désormais plus comme appui que des contre-pouvoirs fragiles, les organisations de masse qu'ils dirigent. Car ces organisations de masse sont politiquement faibles puisqu'elles n'ont pas été préparées à la gestion socialiste, stratégie rejetée par le marxisme léninisme pour qui le parti est le guide incontesté. 

Les syndicats vont donc s'affaiblir dans des mobilisations répétitives, pensées exclusivement comme des moyens de faire pression sur les partis bourgeois pour leur imposer une nouvelle alliance "anti-impérialiste". Toute l'énergie mobilisée par le prolétariat népalais va donc être gâché par une politique qui n'a rien d'anti-capitaliste. Et pour preuve, un des axes de mobilisation du PCN-m est de proclamer l'autonomie de certaines régions transformées en.... "Régions autonomes". Ces Etats autonomes vont certainement affaiblir l'Etat officiel mais ils ne le feront pas pour autant disparaître. La question de la destruction de l'appareil d'Etat reste donc posée et n'est absolument pas réglée ! L’objectif est donc bel et bien de faire pression sur les partis bourgeois mais absolument pas de créer un contre pouvoir socialiste, c'est à dire géré par les travailleurs. On en reste donc au fétichisme de l'Elat bourgeois. 


Socialisme ou Capitalisme d'Etat ?

 

Cette nouvelle expérience révolutionnaire avortée doit être analysée. II ne s'agit pas de dénoncer la politique erronée des camarades marxistes léninistes à travers le monde. Ces courants sont dans une phase de crise ultime qui ne s'explique pas seulement en raison du manque d'attrait politique et financier des régimes dits "Socialistes". Par contre, il faut s’arrêter à ce qui a fait tout l'échec de cette stratégie politique : l'utilisation du prolétariat comme masse de manœuvre. Il ne peut y avoir de processus révolutionnaire sans "autonomie ouvrière" stratégique et organisationnelle. C'est la classe qui doit diriger l'action révolutionnaire, à travers ses organisations naturelles (syndicales). Le prolétariat ne doit se mettre à la remorque d'aucune autre classe et ne pas accepter qu'une "organisation révolutionnaire"` se substitue à sa direction. Partis, organisations affinitaires et tendances SR doivent agir exclusivement comme conseiller politique. Le pouvoir ouvrier doit reposer sur le fédéralisme des syndicats de travailleurs. Autre enseignement, le Socialisme se construit par l'organisation durable du prolétariat. Il peut apparaître plus facile de conquérir les institutions bourgeoises, par les élections ou par l'action armée... Mais cette stratégie ne crée pas de dynamique socialiste ! 

 

Quand la situation devient pré-révolutionnaire, il manque alors un élément déterminant pour faire mûrir la Révolution : une confédération syndicale expérimentée et organisée de telle façon à détruire et à se substituer à l'appareil d'Etat. Seule une telle confédération peut permettre aux travailleurs de gérer et de ne pas déléguer son pouvoir à une quelconque avant garde éclairée. C'est à cette tache que nos camarades syndicalistes népalais pourraient se consacrer s'il ne veulent pas simplement changer de forme d'exploitation. 
 

bottom of page