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Marie Guillot: une femme à la tête de la CGT en 1922

 

Biographie du Maitron par Slava Liszek.


 

Née le 9 septembre 1880 à Damerey (Saône-et-Loire), morte le 4 mars 1934 dans une clinique de Lyon (Rhône) ; institutrice, pionnière du syndicalisme enseignant ; féministe, elle fonda la Commission féminine de la CGT ; pacifiste puis, en 1919, chef de file de la minorité révolutionnaire de la CGT où elle mit en place les comités syndicalistes révolutionnaires ; révoquée de l’enseignement en avril 1921, elle fut élue secrétaire de l’UD de Saône-et-Loire, secrétaire générale de la Fédération de l’enseignement (1921-1922) ; secrétaire confédérale de la CGTU (1922-1923) ; elle s’opposa à la subordination de la CGTU au Parti communiste à partir de 1923.

Marie Guillot n’avait pas trois ans (et sa sœur Adèle, un an à peine) lorsque leur père, petit cultivateur et journalier agricole au village de Damerey, à l’est de Chalon-sur-Saône, mourut. La petite famille vint alors habiter en ville, où la mère de Marie trouva du travail comme blanchisseuse à la journée. Les fillettes furent scolarisées à l’école primaire du quartier (école de la rue aux Fèvres — ou école de l’Est). La directrice de celle-ci y avait mis en place un cours complémentaire et, comme Marie Guillot se montrait douée pour les études, elle l’encouragea — et vraisemblablement l’aida — à les poursuivre au-delà du certificat d’études primaires.

Marie Guillot passa donc le certificat d’études primaires supérieures (enseignement commercial) et le Brevet élémentaire. Puis elle prépara le concours de l’École normale d’institutrices de Mâcon, où elle fut reçue troisième. Mais elle ne supporta pas l’enfermement et la discipline, tomba malade et dut revenir chez sa mère. Elle continua néanmoins ses études, en qualité d’externe, au collège de jeunes filles de Chalon. Là, bien que parmi les premières de sa classe, elle fut confrontée au mépris que ses condisciples, issues de familles bourgeoises, témoignaient aux enfants du peuple. Cette expérience semble l’avoir marquée pour la vie. En 1889, elle obtint le brevet supérieur qui lui ouvrit l’accès à la profession d’institutrice. Après une suppléance à Saint-Martin-Belle-Roche, près de Mâcon, elle se vit confier un stage à Sommant, dans le Morvan, où elle découvrit un milieu quasi féodal ; puis, à la rentrée de 1889, elle fut nommée comme adjointe à l’école publique de filles d’Épinac-les-Mines, dans l’arrondissement d’Autun.

Il est probable que c’est durant les trois années et demie passées dans cette ville ouvrière de 4 000 habitants (des houillères et une verrerie) que Marie Guillot s’initia aux diverses idées sociales qui bouillonnaient en cette fin de siècle : socialisme, libre pensée, féminisme, néo-malthusianisme. La France était alors fort agitée par l’affaire Dreyfus et le département de Saône-et-Loire était secoué par une effervescence ouvrière sans précédent. Tous ces évènements et les débats soulevés trouvaient un large écho dans une presse abondante et variée, y compris au niveau local, ainsi que dans des publications catégorielles, comme la Revue de l’enseignement primaire ou le quotidien féministe La Fronde. Or, comme elle le rappellera plus tard, Marie Guillot avait l’habitude de « lire et d’étudier tout ce qui lui tombait entre les mains ». 


On peut supposer que, dès cette époque, elle commença à fréquenter les groupements professionnels, politiques et idéologiques. L’Amicale primaire laïque de Saône-et-Loire s’était constituée en 1889, et un Groupe d’études sociales sera mis en place à Épinac en 1901. De même, il est vraisemblable qu’elle avait fait la connaissance de Louis Bretin*, un jeune normalien nommé en même temps qu’elle à Épinac et qui allait bientôt devenir, sous le pseudonyme de Théo, l’un des dirigeants les plus actifs de la Fédération socialiste de Saône-et-Loire.

C’est sans doute à Épinac qu’elle découvrit aussi à quel point il était difficile pour une femme de militer : « Aux premières réunions ou j’allai, je vis le vide se faire instantanément autour de moi », écrira-t-elle en 1913. Il me fallut tout l’entêtement d’une féministe pour résister à ces réceptions “pôle nord” qui se reproduisirent plusieurs fois de suite. C’est à la longue seulement que les camarades s’habituèrent à me voir m’asseoir près d’eux et discuter avec eux ». Aussi, à la première occasion, elle s’empressa d’adhérer à une organisation non-mixte, un groupe de la Jeunesse laïque et féministe, qui avait été lancé en septembre 1903 en Saône-et-Loire. 


Reçue aux épreuves pratiques du certificat d’aptitude pédagogique en avril 1903, Marie Guillot fut titularisée un an plus tard et nommée à l’école de filles de Montcony, un bourg agricole, dans l’arrondissement de Louhans. Elle s’y heurta à l’hostilité d’une population offusquée par ses opinions socialistes et son absence de pratique religieuse, et scandalisée par la présence auprès d’elle de sa mère dont la santé mentale était sérieusement ébranlée. Cédant aux pressions, les autorités hiérarchiques persuadèrent Marie Guillot de demander sa mutation, et elle fut nommée, pour la rentrée 1904-1905, à Saint-Martin-d’Auxy, une commune de 150 habitants, dans le canton de Buxy, arrondissement de Chalon-sur-Saône. 


Malgré le choc qui lui causa ce déplacement si semblable à une sanction, et malgré l’obligation où elle se trouva de faire interner sa mère, Marie Guillot parvint à se ressaisir et se jeta à corps perdu dans le travail, dans l’étude et le militantisme. En 1906, elle mit sur pied une « Association des femmes de Saône-et-Loire pour la propagation des idées laïques », dans le cadre de laquelle elle organisera des conférences avec des dirigeant(es) socialistes, ainsi que des campagnes de propagande pour le droit de vote des femmes.

En même temps, en continuant à suivre les réunions socialistes, elle commençait à découvrir le syndicalisme. La Fédération socialiste de Saône-et-Loire soutenait alors les groupements d’instituteurs (les « Émancipations ») qui luttaient pour la reconnaissance de leur capacité syndicale et avaient constitué, en juillet 1905, malgré l’opposition des pouvoirs publics, une Fédération nationale des syndicats d’instituteurs (affiliée à la CGT en 1906). En 1908, Marie Guillot se joignit à son collègue Théo Bretin, devenu entre temps dirigeant de la Fédération socialiste, pour mettre sur pied une section dans le département. La riposte des autorités fut immédiate et la tentative échoua. Seule de tout le groupe, Marie Guillot résolut de persévérer. Elle chercha à comprendre les causes de l’échec : précipitation, mauvaise connaissance du terrain, triomphalisme prématuré ; et, patiemment, élabora une stratégie. Pour commencer, en 1910, elle prit sa carte d’adhérente isolée au syndicat d’instituteurs du Rhône.

La même année, elle fut l’une des premières à souscrire un abonnement à la revue pédagogique et sociale que lançait la FNSI : L’École émancipée. La revue se voulait ouverte au débat et, d’emblée, Marie Guillot y participa ; notamment en prenant la défense des féministes « bourgeoises » ou du néo-malthusianisme, en argumentant en faveur du droit de divorce ou en exposant sa conception de l’enseignement de l’histoire. Au printemps 1911, après avoir assisté (silencieuse) au congrès de la FNSI, à Marseille, elle réussit enfin à créer une section syndicale d’instituteurs de Saône-et-Loire qui, malgré ses effectifs minuscules, ne laissa pas d’inquiéter les autorités hiérarchiques. Dans le même temps, avec son amie Venise Pellat-Finet*, institutrice à Vienne (Isère), elle jetait les bases d’une organisation régionale regroupant diverses sociétés féministes (il y en aura dix-huit en 1912, avec près de trois mille adhérent(e)s) : la Fédération féministe du Sud-Est. Sa collaboration à L’École émancipée devint régulière, tant pour les pages scolaires que pour les pages sociales.

 

Très vite, la rigueur et la vigueur de sa pensée, la clarté de son style et son talent de polémiste l’amenèrent à prendre la direction du débat féministe, pour lequel, à partir de 1912, elle disposa d’un rubrique régulière, bimensuelle, la « Tribune féministe ». Au moyen d’articles brefs, percutants, souvent pleins de verve et d’humour, elle entreprit une démonstration méthodique sur tous les points : droit de vote, réforme du code civil, droit au travail, éducation mixte, partage des tâches domestiques, éducation sexuelle ; démolissant les stéréotypes et les idées reçues, analysant avec subtilité les causes socio-psychologiques de l’infériorisation des femmes, et s’employant à insuffler à ses compagnes la confiance en elles qui leur faisait défaut pour oser s’affirmer et revendiquer toute leur place — notamment dans l’organisation syndicale.

A l’instar de celles de ses collègues qui militaient dans les groupes féministes universitaires (mais contrairement à beaucoup de syndicalistes, même femmes), Marie Guillot ne croyait pas que l’action syndicale et révolutionnaire pourrait suffire à émanciper les femmes. « Nous avons, nous, femmes, une double lutte à mener, écrivait-elle : lutte commune à tous les prolétaires contre l’asservissement économique, lutte particulière pour la conquête de nos droits d’êtres humains. » (Elle était membre de l’Union française pour le suffrage des femmes.) « Même bourgeois, répétait-elle, le féminisme a une valeur révolutionnaire, en redressant les femmes, en les poussant à faire reconnaître leur droit par les hommes. » Cela dit, son ambition était déjà d’intégrer la « double lutte » dans le mouvement ouvrier, syndical. Elle avait suivi de près l’action de la Fédération féministe universitaire pour l’obtention de l’égalité des traitements féminins et masculins. Mais c’est en tant que syndicaliste qu’elle donna toute sa mesure dans cette bataille. Ses articles dans L’École émancipée et ses interventions au congrès de Chambéry, en 1912, furent décisifs pour empêcher que la FNSI n’abandonne la revendication de l’égalité, au profit du relèvement général des rémunérations. La répression qui, au lendemain du congrès de Chambéry, frappa les instituteurs syndicalistes, accusés d’antipatriotisme à cause d’une motion en faveur du « sou du soldat », valut à Marie Guillot la deuxième peine de réprimande de sa carrière. (Quelques mois plus tôt, déjà, une réprimande lui avait été infligée pour avoir protesté contre le déplacement d’office d’un collègue — Paoli — et la répression qui s’en était suivie.) Cette attitude ferme acheva d’asseoir son autorité au sein du syndicalisme enseignant et au-delà.

Au début de 1913, elle proposa sa collaboration à La Vie Ouvrière et se lia d’amitié (épistolaire) avec son rédacteur en chef, Pierre Monatte. Celui-ci faisait partie des quelques (rares) dirigeants syndicaux qui se préoccupaient d’organiser les ouvrières et Marie Guillot comprit que, grâce à son soutien, il lui serait possible de porter le débat féministe dans la CGT. L’occasion s’en présenta en avril 1913. 
Une adhérente de la FFSE, Emma Couriau, une ouvrière typographe qui venait de s’installer à Lyon, se vit refuser l’entrée du syndicat du Livre, tandis que son mari en était exclu pour avoir permis à sa femme de travailler... Venise Pellat-Finet et Marie Guillot se saisirent de l’incident pour poser, dans la CGT, la question du droit des femmes au travail et à l’organisation. Durant plusieurs mois, « l’affaire Couriau » occupa une large place dans la presse syndicale et fut, pour finir, portée sur la place publique par l’intermédiaire des mouvements féministes. Malgré des résultats peu probants en apparence (le syndicat lyonnais resta sur ses positions et la Fédération du Livre refusa d’intervenir), Marie Guillot put constater qu’un courant très net en faveur des droits des femmes se dessinait dans la CGT. Elle en profita pour soumettre aux instances confédérales un projet de « Comité d’action féminine syndicale », interne à l’organisation, dont l’objectif serait de permettre aux ouvrières repoussées par leurs syndicats de s’organiser quand même, et à toutes, de faire entre elles, leur apprentissage de l’action syndicale. 


Approuvé par le Comité confédéral, le projet fut sélectionné (par référendum), parmi les quatre questions prioritaires mises à l’ordre du jour du XIIIe congrès de la CGT, qui devait se tenir en septembre 1914, à Grenoble. Marie Guillot, élue en mai à la Commission administrative de l’UD de Saône-et-Loire, avait été désignée comme déléguée suppléante à ce congrès. 


La guerre bouleversa brutalement ce programme.

Stupéfaite par le ralliement de la direction de la CGT et de celle du Parti socialiste à l’Union sacrée, horrifiée par le déferlement de haine nationaliste, Marie Guillot fut l’une des toutes premières à réagir. Son « Appel aux Institutrices et Instituteurs » publié dans L’École émancipée du 3 octobre 1914, bien que blanchi par la censure, donna le premier signal de la résistance. Peu après, elle put reprendre contact avec plusieurs autres militants restés fidèles à l’internationalisme prolétarien, tels Pierre Monatte, Francis Million* de l’UD du Rhône ou Alphonse Merrheim* de la Fédération des métaux. 
Bien que très isolée dans sa campagne, Marie Guillot réussira bientôt à mener, grâce à ces contacts et à un réseau très étendu de correspondants, une action intensive de propagande pacifiste. Non qu’elle crût pouvoir arrêter le massacre par ce moyen : elle était trop lucide et trop consciente des réalités pour cela. Mais elle voulait « préserver l’avenir », et empêcher que la contagion chauvine ne cause d’irréversibles ravages dans les esprits. 


À l’intérieur de la FNSI, son rôle fut des plus importants. D’abord par sa contribution à l’École émancipée. (ou l’École, à partir du 31 octobre 1914). En 1915, elle rédigeait à elle seule, chaque semaine, trois cours pour la partie scolaire et la Tribune féministe, sans compter les articles isolés. Or, c’est cet effort, parmi quelques autres, qui permit à la revue de survivre et de mener durant toute la guerre, et malgré la censure, le combat pacifiste. D’autre part, par l’influence qu’elle exerçait sur ses camarades. Ainsi, une lettre d’Alfred Rosmer* à Pierre Monatte, en date du 16 août 1915, permet de penser que sa présence à la conférence nationale de la FNSI, réunie deux jours plus tôt à Paris afin de définir l’orientation de la Fédération, fut décisive pour faire basculer la majorité (en particulier Hélène Brion*, la secrétaire générale par intérim et Fernand Loriot le trésorier), en faveur de la condamnation de la guerre et de la reprise des relations internationales. En revanche, malgré bien des efforts, elle ne réussit pas à détourner de l’Union sacrée la Fédération socialiste de Saône-et-Loire et elle décida, en conséquence, de rendre sa carte du Parti.

Ses activités pacifistes n’étaient pas ignorées des services de police et sa correspondance était surveillée. Néanmoins, contrairement à la plupart des institutrices et instituteurs pacifistes (Julia Bertrand*, Marie et François Mayoux*, Lucie Colliard*, Hélène Brion...), Marie Guillot échappa à la répression. Peut-être parce que la perquisition effectuée à son domicile (le 8 décembre 1917), n’apporta pas de preuves suffisantes pour l’inculper. Et aussi — c’est en tout cas ce que laisse supposer une note de l’inspecteur primaire conservée aux AD de Saône-et-Loire — parce qu’il était difficile de trouver une remplaçante pour un poste aussi déshérité que le sien. 
Au lendemain de la guerre, Marie Guillot se retrouva, tout naturellement, parmi les animateurs de la « minorité » confédérale décidée à « redresser » la CGT, à faire renoncer ses dirigeants aux pratiques de « collaboration de classes », à ramener le syndicalisme sur la voie révolutionnaire. Comme la plupart de ses camarades, elle avait été enthousiasmée par la révolution bolchevique et les possibilités que celle-ci ouvrait aux travailleurs des autres pays européens. Mais, se défiant de l’exaltation facile, source de « désillusions amères », elle veillait à ne pas perdre de vue l’énormité et la difficulté de la tâche à venir.

Elle ne rejoignait pas non plus, les autres « minoritaires » dans leurs attaques souvent violentes contre les dirigeants confédéraux, et en particulier, contre ceux qui avaient changé de camp, tels Alphonse Merrheim* ou Georges Dumoulin*. L’indignation, « l’interpellation », lui avaient toujours semblé stériles. Elle leur préférait l’analyse, l’exposé des faits, l’argumentation. « Il faut rejeter, comme encombrante, la critique de l’action passée et actuelle de la CGT. La partie positive sera la meilleure des critiques », écrira-t-elle dans la Déclaration des Comités des syndicalistes révolutionnaires de l’Enseignement. Sa démarche se voulait toujours constructive et aux problèmes qui se posaient elle s’efforçait de trouver des solutions concrètes. Ainsi, lorsque la possibilité d’une reconnaissance du droit syndical des fonctionnaires plongea la FNSI dans le désarroi devant la perspective d’un afflux d’adhérents modérés, elle proposa d’organiser au sein de ces syndicats élargis, des « comités de syndicalistes révolutionnaires » dans lesquels les militants d’avant-garde pourraient se retrouver entre eux, se concerter, s’éduquer mutuellement, et définir la propagande qu’ils diffuseraient ensuite dans le syndicat proprement dit (La Vie Ouvrière, 23 juillet 1919). De la même façon, elle impulsa dans la Fédération la mise en place de Groupes féministes, destinés à remplacer (mais cette fois à l’intérieur des syndicats), les anciens GFU, en perte de vitesse depuis l’obtention de l’égalité des traitements (votée dans le budget de 1919). 


Déléguée au XIVe congrès de la CGT (septembre 1919, à Lyon), elle y revint à la charge sur la question des femmes, avec un rapport qui reprenait son projet de 1914 enrichi et précisé. Les points principaux concernaient : la mise en place, au niveau confédéral, d’un secrétariat féminin, la création d’un journal pour les travailleuses, la parité hommes-femmes au CCN... Le rapport fut approuvé, publié dans la Voix du peuple et mis à l’étude. Le premier de ses projets à prendre vraiment corps fut celui des Comités (de) syndicalistes révolutionnaires. Dès la fin de 1919, un noyau fut constitué, composé notamment de Jean Cornec* et Josette Cornec*, Marie et François Mayoux, Hélène Brion, Fernand Loriot, Élise Avenas*, Ismaël Audoye* et Louis Lafosse*. Dès janvier 1920, un projet de statuts fut élaboré, ainsi qu’une déclaration définissant les objectifs de l’action révolutionnaire et précisant les moyens de les atteindre. Ces textes seront votés six mois plus tard, au congrès fédéral de Bordeaux. Et, en octobre 1920, sur proposition de Marie Guillot, la minorité confédérale décidera d’adopter la même forme d’organisation.

La déclaration des CSR de l’Enseignement contenait une affirmation que les pouvoirs publics trouvèrent inadmissible de la part d’une institutrice publique : « Le prolétariat, c’est-à-dire l’ensemble de ceux qui travaillent et vivent sans exploiter le travail d’autrui, combat, par la violence, s’il le faut, pour posséder d’une façon exclusive les moyens de production et d’échange, et met la main sur les pouvoirs publics afin de réaliser son dessein. Il est obligé, l’événement l’a prouvé, d’établir MOMENTANÉMENT la dictature du prolétariat, pour atteindre son but ». Accusée de prôner la « guerre sociale », Marie Guillot fut traduite devant son conseil départemental, et, malgré un partage égal des voix pour et contre, elle fut finalement révoquée de l’enseignement, le 25 avril 1921. 


Sans l’avoir vraiment souhaité, elle put se consacrer totalement à l’activité militante. En juillet 1921, elle fut élue secrétaire générale de l’UD de Saône-et-Loire (conquise par les CSR), et appointée comme permanente. Un mois plus tard, elle devenait secrétaire générale de la Fédération de l’Enseignement, à la tête d’un bureau composé de syndicats de la Saône-et-Loire et du Rhône. En tant que secrétaire fédérale, elle s’employa à rétablir dans l’organisation le climat de confiance et d’harmonie que les dissensions, les polémiques personnelles et la volonté des uns ou des autres d’imposer leur point de vue, avaient fortement compromis au cours des deux années écoulées. La correspondance très fournie qu’elle échangeait avec Louis Bouët*, devenu secrétaire de rédaction de L’École émancipée, est significative à cet égard. Ainsi, le 5 septembre 1921 : « Sans doute serons-nous d’accord, si L’École est bien ouverte à toutes les tendances et ainsi nous aide à gagner du terrain parmi les éléments neutres encore : la discussion nous est toujours propice ». Les Groupes féministes fonctionnaient désormais sans son aide, et elle s’était déchargée de la Tribune féministe de l’École émancipée. Mais elle restait secrétaire des CSR de l’Enseignement.

Dans la CGT, la minorité gagnait du terrain : l’organisation en CSR se révélait efficace. Mais, contre l’avis de Marie Guillot, les adhésions à ceux-ci pouvaient être collectives, et cela permettait à la direction confédérale de dénoncer ces organismes comme anti-statutaires, et de laisser les fédérations et les UD exclure les syndicats qui y adhéraient. Les risques d’éclatement de la CGT s’accentuaient, et plusieurs responsables des CSR envisageaient volontiers la rupture. Au congrès des minoritaires convoqué du 22 au 24 décembre 1921 afin d’exiger l’arrêt des exclusions, Marie Guillot usa de diplomatie aux côtés de Pierre Monatte et de Louis Bouët pour préserver l’unité. Mais la scission, souhaitée par les dirigeants majoritaires, ne put être évitée. 


Au sein de la CGTU provisoire, elle combattit les conceptions fédéralistes, exagérées selon elles, des responsables du bureau, la violence de leurs critiques à l’encontre du gouvernement bolchevique et leur refus d’adhérer à l’Internationale syndicale rouge. Mais ces divergences lui semblaient peu profondes et passagères. 


Au congrès constitutif de la nouvelle centrale, à Saint-Étienne (26 juin-1er juillet 1922), elle présenta avec Joseph Lartigue*, une motion intermédiaire entre celle de Gaston Monmousseau* et celle de Pierre Besnard*. Elle y défendait, comme le premier, l’adhésion de la CGTU à l’ISR, mais sous réserve que l’autonomie de l’organisation syndicale à l’égard de l’organisation politique serait préservée, y compris sur le plan international. Amendée dans son sens, la motion de Monmousseau l’emporta.

Dans le nouveau bureau, Marie Guillot fut élue secrétaire confédérale, chargée de la trésorerie et de l’organisation des femmes. Son projet de commission féminine confédérale, déjà accepté dans son principe — et à l’unanimité — au congrès de la CGT en juillet 1921 à Lille, avait finalement été inscrit dans les statuts de la CGTU ; non sans avoir été quelque peu édulcoré : ainsi, il n’y était plus question, par exemple, de représentation paritaire au CCN. (Elle s’attela aussitôt à sa réalisation concrète, qui s’avéra assez difficile. Scepticisme des uns, résistance des autres, « Je me suis heurtée à tous les murs », rappellera-t-elle plus tard. (Congrès de Bourges, novembre 1923). À force de ténacité elle réussit néanmoins à constituer une équipe de propagandistes (composée de Marie-Louise Berthon*, secrétaire de l’UD de l’Ain, Louise Heuchel*, des Métaux, de Paris, Adèle le Baron, de l’Habillement ; puis encore de Marguerite Pascouaud de la Chaussure et d’Amélie Planteline* des Employés), à procéder à des enquêtes et à diffuser des dizaines de milliers d’affiches et de tracts. 


Entre la Commission féminine, les tâches administratives et la responsabilité de l’organe officiel de la CGTU, la Vie Syndicale, sa charge de travail était lourde. Mais ce qui lui pesait le plus, comme le soulignera après sa mort Josette Cornec (La Révolution prolétarienne. 25 mars 1934), c’était l’ambiance qui régnait à la CGTU. La désunion et les affrontements persistaient, même après que le IIe congrès de l’ISR eut accepté de supprimer des statuts de celle-ci la liaison au niveau international. Les tensions s’aggravèrent encore lorsque le Parti communiste entreprit de créer à l’intérieur de la CGTU des « commissions syndicales », sortes de comités de communistes, dont les membres étaient tenus de se conformer dans leurs activités syndicales aux directives du Parti, sous peine d’exclusion. 


Après avoir essayé, en vain, avec plusieurs autres militants, comme Joseph Lartigue et Léopold Cazals*, d’obtenir de la direction confédérale, la condamnation de ces pratiques, Marie Guillot et ses coéquipiers résolurent d’organiser dans la CGTU des « Groupements syndicalistes révolutionnaires ». En juin 1923, un manifeste fut publié, mettant en garde contre les dangers de la mainmise des partis — et notamment du Parti communiste — sur le mouvement syndical : étouffement de la diversité des courants idéologiques, conduisant à l’anémie. L’initiative fut dénoncée par la majorité confédérale comme une attaque anticommuniste, donc antirévolutionnaire ; et même des amis comme Louis Bouët ou Pierre Monatte crurent Marie Guillot manipulée par « des politiciens habiles ».

À l’issue du CCN des 22 et 23 juillet 1923, qui confirma l’échec de GSR, Marie Guillot décida de démissionner de son poste de secrétaire confédérale, tout en assumant ses fonctions jusqu’au congrès extraordinaire, convoqué pour novembre. Elle envisageait également de transmettre à une autre militante (Yvonne Orlianges*) la responsabilité de la Commission féminine. Le déroulement de la première conférence féminine (le 11 novembre 1923, à Bourges, à la veille du congrès), précipita l’événement. En effet, la liste des candidates à la future commission qu’elle y présenta, bien qu’approuvée lors d’une réunion préalable, fut récusée à l’instigation de plusieurs déléguées communistes (en particulier de Suzanne Girault*) au motif que sa composition, qui comprenait plusieurs minoritaires, ne correspondait pas à l’orientation qui devait se dégager des votes du congrès. Incapable d’entrer dans cette logique — et se considérant désavouée —, Marie Guillot céda la place de secrétaire de la Commission à Lucie Colliard*. 


Le congrès de Bourges entérina l’existence des « commissions syndicales ». Marie Guillot et ses camarades des GSR se rapprochèrent alors des opposants de la première heure, les fédéralistes et « syndicalistes purs » du CDS (Pierre Besnard*, Verdier, etc.) et de la Fédération du Bâtiment, pour constituer une nouvelle tendance : la « Minorité syndicaliste révolutionnaire ». Mais, contrairement aux prévisions de Marie Guillot, l’accord sur la nécessité de l’indépendance syndicale ne suffit pas pour assurer la cohésion du groupement. Très vite, surtout après les incidents tragiques survenus au meeting du PC, le 11 janvier 1924, rue de la Grange-aux-Belles, les divergences internes s’accentuèrent et la MSR commença à s’effriter. En mai 1924, l’arrivée au pouvoir du Cartel des gauches ouvrit à Marie Guillot la perspective d’une réintégration dans l’enseignement. Le 2 juin, elle démissionna du Bureau de la MSR (Tout en continuant à « assumer sa part de travail »). En octobre, elle fut en effet réintégrée et nommée à l’école mixte de Montagny près Louhans (hameau de Putacrot). Au même moment, ce qui restait de la MSR quittait la CGTU pour former l’Union fédérative des syndicats autonomes de France.

Profondément éprouvée moralement et physiquement par les deux années passées à Paris, elle retrouva semble-t-il un certain apaisement dans l’exercice de sa profession. Mais sa santé avait été ébranlée. Si elle continua à militer, c’est essentiellement dans le cadre de la minorité de la Fédération unitaire de l’Enseignement, qui lui confia, en février 1925, la responsabilité du mensuel l’Action syndicaliste. Pendant plus d’un an, elle y fournit régulièrement des articles, puis y renonça, pour cause de santé, ne conservant que les tâches administratives. L’année suivante, elle se trouva inculpée pour infraction à la loi de 1920 sur la contraception. Le Bulletin des Groupes féministes de l’Enseignement laïque, dont elle était restée gérante en titre, sans en assumer désormais la responsabilité, avait publié, en février 1927, une étude intitulée « La Maternité, fonction sociale », dans laquelle était entre autres revendiqué le droit pour les femmes « de n’être mères qu’à leur gré ». Pris en charge par la FUE, le procès d’Henriette Alquier*, auteur de l’étude, et de Marie Guillot eut un grand retentissement et aboutit à l’acquittement des deux institutrices. De plus, le climat chaleureux et unitaire qui avait entouré l’affaire fut bénéfique pour Marie Guillot : elle retrouva un peu de forces et s’investit à nouveau dans les activités fédérales, participa à des commissions et même élabora un rapport assez fouillé sur l’organisation féminine cléricale des « Davidées ». Mais la subordination de plus en plus déclarée de la CGTU au Parti communiste, et les divisions internes, violentes, qui en résultaient, notamment au sein de la Fédération, continuaient de la miner.

En 1930, elle apporta son soutien, avec un regain d’espoir, à l’appel des « 22 ». L’échec de cette tentative de réunification syndicale, et la débandade qui s’ensuivit, l’ébranlèrent profondément. Les Groupes féministes, de leur côté, n’échappaient plus aux dissensions et périclitaient. Au congrès de 1932, en l’absence d’autres candidatures, Marie Guillot en accepta le secrétariat. Mais elle n’était plus en état de tenir cet engagement. Depuis quelque temps, sa fatigue était devenue chronique, et elle était sujette à des accès de violence avec hallucinations auditives. 


Un peu avant les vacances de Pâques 1933, elle demanda un congé d’un mois, qu’elle dut prolonger. Le 9 mai, sur le conseil de ses amis du syndicat du Rhône, elle se fit hospitaliser à la clinique médicale de Champvert, à Lyon. Malgré les soins et le traitement, son état s’aggrava peu à peu, et l’on dut la mettre à l’isolement. Le 8 février 1934, sans doute au cours d’une crise, elle fit une chute dans sa chambre et se cassa le col du fémur. Trois semaines plus tard, une phlébite fut diagnostiquée. Dans la nuit du 3 au 4 mars 1934, Marie Guillot succomba à une embolie. 


Parmi les hommages qui lui furent rendus après sa mort, voici celui de Marcel Martinet* (L’Action syndicaliste, mars 1934). Il résume d’une certaine façon tous les autres : 
« (...) Les premiers mots qui me viennent à l’esprit pour caractériser Marie Guillot, c’est sa simplicité, son abnégation et sa fidélité, sa pureté d’acier, sa vaillance et son stoïcisme, mais j’éprouve de la gêne à les employer parce qu’elle possédait tout cela si naturellement et à un tel point que les mots paraissent faibles, prétentieux, déplacés. Elle était de ces caractères exceptionnels, qui non seulement ne recherchent pas la louange, mais pour qui la louange a presque l’air d’un affront et d’une sottise.

« Tout cela pourtant, toutes ces vertus militantes, c’est bien elle, mais il faudrait les dépouiller de tout ce que leur expression pourrait avoir d’apprêté pour rendre dans son animation, l’image que nous conservons d’elle : cette grande fille bâtie en force — notre ‘“INS>grande Marie » — avec son accent chantant de Chalonnaise, son regard droit, sa carrure, sa gaieté et son calme, sa timidité aussi, non certes devant les responsabilités mais devant les niaiseries de l’existence, et son intelligence claire et intrépide...

« Car elle était bien vivante, équilibrée, solide, pas plus abstraite dans son être qu’elle ne pensait abstraitement les questions ouvrières : c’était pour des hommes et des femmes vivants, dont elle avait connu et partagé la dure et sanglante vie, qu’elle avait besoin de lutter, non pour des théories et des thèses ; et cela ne l’empêchait pas d’apercevoir et d’étudier les problèmes sociaux dans leur complexité, cela l’aidait au contraire à les poser et à leur chercher des solutions dans la réalité concrète (...). » 


Durant le premier tiers du XXe siècle, Marie Guillot a joué un rôle de premier plan dans le mouvement ouvrier, et elle y a laissé son empreinte comme syndicaliste, féministe et pédagogue.  Du fait des divisions syndicales, sa mémoire n’a d’abord été conservée que dans un cercle restreint d’amis et de fidèles. De même, ses conceptions de l’activité militante se trouvèrent éclipsées, pour de longues années, par un autre type de pratiques. Son action a cependant laissé des traces visibles. Ainsi, la commission féminine confédérale, mise en place par elle en 1922 (à la CGTU, du fait des circonstances) survécut jusqu’en 1933, puis fut rétablie, dans la CGT cette fois, en 1945, et y fonctionna, selon les principes mêmes de Marie Guillot, jusqu’à la fin des années 1980.

ŒUVRE : Marie Guillot rédigea plusieurs centaines d’articles. Essentiellement dans L’École émancipée (de 1911 à 1924). — Ainsi que dans les publications suivantes : L’Action féministe (1913) — L’Action syndicaliste (de 1925 à 1933). — La Bataille syndicaliste (1923-1924). — Le Cri du peuple (1930). — La Révolution prolétarienne (1930-1931). — Le Socialiste de Saône-et-Loire (1906-1911). — La vie ouvrière (1913-1914 puis de 1919 à 1921). — La voix du peuple (1913-1914 et 1919).

SOURCES : Arch. Dép. de Saône-et-Loire, série M (en particulier M 182 : syndicats d’instituteurs) et série T : instituteurs. Dossier personnel de Marie Guillot. — Arch. Mun. d’Épinac-les-Mines (S-et-L) et de Saint-Martin d’Auxy (S-et-L). — Arch. Nat., série F7 (principalement : F/7 13743 à 13747 ; F/7 13613 ; F/7 13349 et 13370 à 13376 (pacifisme). — Arch. PPo : B/a 1558 à 15562 : pacifistes, (rapports de police et correspondance). B/a 1686 : la CGT. — Bibliothèque Marguerite Durand, Dossiers : Marie Guillot ; Institutrices ; Union Française pour le Suffrage des femmes. — Bib. Mun. Chalon-sur-Saône : Série 1R, écoles publiques, enseignement. — Institut Français d’Histoire Sociale : Fonds Aulas ; Bouët ; Dommanget ; Monatte. — Lettres de Marie Guillot à Pierre Monatte publiées dans la Révolution prolétarienne du 25 mars 1936 et du 10 avril 1936. — Comptes rendus de congrès CGT : 1919, 1920, 1921, CCN de septembre 1921. FNSI (de 1911 à 1919) puis Fédération de l’Enseignement, jusqu’en 1934, publiés dans le bulletin L’Émancipation. — Léon Griveau et Jean Dereymez, « Autour de quelques lettres de Marie Guillot » ; Revue Milieux, n° 15-16, octobre 1983-Janvier 1984 et n° 17, mai 1984. — Des mêmes auteurs : « Marie Guillot et le syndicat des instituteurs de Saône-et-Loire », Le Mouvement social , n° 127, juin 1984. — Témoignage de Josette Cornec dans La Révolution prolétarienne du 25 mars 1934 ; et ceux de M. Martinet, G. Thomas, G. Barrue dans L’Action syndicaliste de mars 1934 ; et de P. Bouquet dans L’Action syndicaliste de mai 1935 (« Marie Guillot et l’émancipation des femmes »). — François Bernard, Louis Bouët, Maurice Dommanget, Gilbert Serret Le Syndicalisme dans l’enseignement, Histoire de la Fédération de l’Enseignement des origines à l’unification de 1935, Institut d’Études politiques de Grenoble, 1966. — Robert Brécy, Le Mouvement syndical en France (1871-1921), essai bibliographique, Paris, Mouton, 1963. — Max Ferré, Histoire du mouvement syndicaliste révolutionnaire chez les instituteurs, des origines à 1922, Paris, 1955. — Thierry Flammant, L’École émancipée, une contre-culture de la Belle Époque, Les Monédières, 1982. — Madeleine Guilbert, Les Femmes et l’organisation syndicale avant 1914, Paris, Éditions du CNRS, 1966. — Anne-Marie Sohn, Féminisme et syndicalisme. Les Institutrices de la Fédération unitaire de l’Enseignement, de 1919 à 1935, Paris, Audun-Hachette-Bibliothèque Nationale (microfiches), 1973. — Charles Sowerwine, Les Femmes et le socialisme. Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences Politiques, 1978. — Slava Liszek, Marie Guillot, de l’émancipation des femmes à celle du syndicalisme, Paris, L’Harmattan, 1994. Ainsi que tous les journaux cités dans la bibliographie de ce dernier ouvrage.

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